P. Sergescu (Cluj), Sur les modules des zéros de l’équation du troisième degré

On connaît plusieurs théorèmes relatifs à la répartition des zéros de la dérivée d’un polynome dont on connaît les zéros.

M. Kakeya a démontré que si dans un cercle de rayon R il y a deux zéros d’un polynome de degré n, le cercle concentrique de rayon Rsin π n contient au moins un zéro de la dérivée.

M. M. Biernacki a établi que: si dans un cercle de rayon R, il y a (n 1) zéros d’un polynome de degré n, le cercle concentrique de rayon R1 + 1 n contient n 2 zéros de la dérivée.

D’après M. Fekete: si A et B sont les affixes de deux zéros d’un polynome de degré n, il y a un zéro de la dérivée, au moins, à l’intérieur des segments de cercle d’où l’on voit AB sous l’angle π n1. (Dans le cas de l’équation du 3e degré, ce domaine revient au cercle de diamètre AB).

Enfin, d’après MM. Grâce et Heywood, si A et B sont les affixes des zéros d’un polynome du ne degré, le cercle de centre A+B 2 et de rayon AB 2 cotgπ n contient au moins un zéro de la dérivée. Citons encore les beaux travaux de MM. P. Montel et Wa1sh.

Les démonstrations de tous ces théorèmes exigent des connaissances qui dépassent le domaine de l’algèbre. Nous croyons que l’on peut trouver ces limitations par des voies élémentaires, en considérant succéssivement des polymones de degrés croissants.

Pour le second degré, il est évident que le zéro de la dérivée est au milieu du segment qui unit les affixes des deux zéros du polynôme.

Pour le troisième degré, on a le théorème suivant:

1 Théorème. Soient O,A,B les affixes des trois zéros d’un polynome du troisième degré, où OA < OB. Il y a un zéro de la dérivée dans le cercle de centre O et de rayon OA 3 et un autre à l’extérieur du cercle de centre O et de rayon OC 3 . Les limites sont atteintes. De plus, le premier zéro de la dérivée est du même côté que A par rapport à la bissectrice de l’angle BOA; et le second zéro est du même côté que B par rapport à la même bissectrice. (On sait que, d’après le théorème de Lucas-Gauss, tous les zéros de la dérivée se trouvent à l’intérieur du triangle OAB).

On s’assure aisément que ce théorème n’est pas contenu dans les théorèmes énoncés plus haut. (Au commencement de mes recherches, j’avais supprimé le facteur 1 3 dans la première partie du théorème; M. Biernacki m’a attiré l’attention que dans ce cas on n’avait plus qu’une conséquence du théorème de M. Fekete).

La démonstration repose uniquement sur la représentation graphique des quantités imaginaires.

Supposons, pour simplifier l’écriture, que O est à l’origine. On a, entre les racines α et β, d’affixes A et B, de l’équation, et les racines m et k, d’affixes M et K, de la dérivée, les relations suivantes:

m + k = 2 3(α + β),mk = 1 3αβ

ou encore:

1 m + 1 k = 2( 1 α + 1 β), 1 mk = 1 3 1 αβ. (1)

Posons, pour simplifier l’écriture: α = 1, 1 β = ρ, d’affixe R, avec OR < 1; 1 m = p, 1 k = q, d’affixes P et Q.

La relation 3mk = αβ entraîne

argm + argk = argα + argβ MOA = BOK.

Les points M et K étant à l’intérieur du triangle OAB, (en vertu du théorème de Lucas–Gauss), il s’ensuit qu’ils sont séparés par la bissectrice de l’angle BOA. Pour fixer les idées, supposons que M est du même côté de cette bissectrice que le sommet A. Les points P et Q sont compris dans l’angle AOR et l’on a:

AOP = QOR < AOQ.

Je dis que, dans ces conditions, on a, nécéssairement:

OP > 3.

En effet, les relations (1) s’écrivent aussi:

(OP) + (OQ) = 2[(OA) + (OR)],OP.OQ = 3OA.OR.

Soient: S le point 2(OR) + 2 et T le point 2(OR). La première relation (2) donne QS = ||OP. Donc les angles QST et QOT sont égaux. Comme OT = 2OR et TS = 2, il s’ensuit OQ < QS (car OR < 1).

PIC

Menons la bissectrice de l’angle OTS, qui coupe OQ et QS respectivement en E et F. Par E, menons EH parallèle à FS. On a:

TH = OT = 2OR,QE = QF.

Or, dans les triangles semblables THE et TFS, on a:

EH TH = FS TS = OE 2OR = FS 2 OQ + QE OR = QS QF 1 = OP.OQ OR + QE[OP OQ QE] OR

car QE = QF et QS = OP. La seconde relation (2) donne OP.OQ OR = 3. D autre part:

OP OQ OE = OP EH = QS EH FS EH 0.

Donc:

OP QE 1 3,OP 3.

On tire immédiatement, de (2):

OQ 3.OR.

Il s’ensuit:

OM OA 3 ,OK OB 3

ce qui démontre la première partie de l’énoncé.

Les limites sont atteintes quand OB = OA. En effet, considérons l’équation x3 e2i𝜃x = 0, où OA = OB = 1. L’équation dérivée a les racines ± 1 3ei𝜃, dont les modules sont bien 1 3.

Donc, en supposant O et A fixes et le point B mobile dans le plan, avec OB OA, l’équation dérivée a toujours une racine à l’intérieur du cercle de centre O et de rayon OA 3 et une racine à l’extérieur de ce cercle. On a ainsi une séparation des racines de la dérivée.

Le fait d’avoir supposé M du même côté que A par rapport à la bissectrice de l’angle BOA, démontre la troisième partie de l’énoncé. Le théorème est donc complètement établi.

Remarque. Les relations entre les sommes m + k et α + β montrent que MK passe par le centre de gravité du triangle OAB. Le fait appartient, d’ailleurs, au théorème de Lucas sur les points centraux (Bulletin de la Soc. mathématique de France. Tome XX pag. 10 et 17) car M et K sont des points centraux. Cf. à ce point de vue ma note: Sur les points centraux, dans le Bulletin de la Société des Sciences de Cluj Tome I, pag. 524.

Conséquences. Supposons OA < AB < OB. On peut appliquer le théorème 1 aux sommets O et A. Donc: l’affixe M d’un zéro de la dérivée se trouve à l’intérieur du polygone curviligne formé par les bissectrices des angles O et A, la droite OA, les cercles de rayon OA 3 et de centres O et A. L’affixe K du second zéro de la dérivée est à l’extérieur du cercle de centre O et de rayon OB 3

Si le point B vient sur l’axe réelle, on a une précision du théorème de Rolle: OAB étant les trois racines réelles d’une équation du troisième degré, avec OA < AB < OB, les deux zéros M et K de la dérivée se trouvent: 1) dans l’intervalle CDOC = OA(1 1 3) et OD = OA 3 et 2) dans EBOE = OB 3 .

2 Théorème. Soient O,A,B, les affixes des trois zéros d’un polynôme du 3e dégré et M et K les affixes des zéros de la dérivée. Si OB OA3, on a une séparation analogue à celle du théorème de Rolle:

OM OA OK OB.

Mais, pour le cas où OA < OB < OA3, il se peut que OM et OK soient plus petits que OA et donc l’analogie indiquée cesse.

En effet, d’après le théorème 1, on a OM OA 3 et OK OB 3 .

Donc, si OB > OA3, on a OK > OA et OM < OA, c. f. d. q.

Pour le cas OB < OA3, prenons comme exemple l’équation:

3x3 + 2x2 5x = 0

dont les racines sont 0,1,5 3. OB = 5 3, OA = 1. Donc OB = 1,67 OA < OA3, mais très rapproché de cette valeur. La dérivée a les zéros 1 et 5 9. Donc OK = 1 cesse d’être supérieur à OA. Dès que OB < 5 3 et OA = 1, on a pour le cas particulier des racines réelles et de signe contraire OK < OA. On peut le vérifier immédiatement.

* * *

Applications du théorème 1. Considérons la famille normale de polynômes de troisième degré:

f(x) = a0 + a1x + a2x2 + a 3x3 = 0

|f(x)| M pour |x| R. Quel est le module minimum de la plus petite racine, différente de l’origine, de l’équation f(x) = a0?

Ce problème est analogue à la question que j’ai étudiée pour l’équation trinôme, dans les C. R. de l’Académie des Sciences de Paris, séance du 23 Novembre 1925, pag. 762.

Comme

|f(x) a0| < |f(x) + |a0| M + |a0| = M

on peut supposer, sans restreindre la généralité, a0 = 0.

J’ai démontré dans une note antérieure des C. R. séance du 4 Août 1924, pag. 322, que, si |f(x)| sont bornés dans le cercle |x| R, alors |f(x)| sont bornés dans le cercle |x| ΘRΘ < 1. Par conséquent, les dérivées forment une famille normale dans le cercle de rayon ΘR. Si |f(x)| < M, on a dans le cercle de rayon R (loc. cit. pag. 323) :

|f(α)| R M M2 |f(α)|2 R2 |α|2

et donc, dans le cercle de rayon ΘR:

|f(x)| < M R(1 Θ2) = K.

Dans notre cas f(0) = a1. Alors le théorème de M. Landau (The Tohoku Mathematical Journal T. V, 1904, pag. 104) donne le module minimum (σ) des zéros de f(x)

|σ| |a1|ΘR K = |a1|R2Θ(1 Θ2) M .

Cela a lieu, quelle que soit Θ < 1. Prenons donc pour Θ la valeur 1 3 qui donne le maximum de Θ(1 Θ2). On a:

|σ| 2|a1|R2 33M.

Mais, si f(x) est un polynôme du troisième degré, le théorème 1 montre que:

σ OA 3 = ρ 3

A est le zéro de f(x) le plus rapproché de l’origine et différent d’elle. Il s’ensuit:

ρ > 2 3 |a1|R2 M

et, si l’on revient à a00:

ρ > 2 3 |a1|R2 M + |a0|

C’est la limitation cherchée au début de ce paragraphe.

Dans le cas où a = 0, on a une équation trinôme étudiée aux C. R. 23 Nov. 1925 pag. 763, pour p = 1, n = 3. La limite trouvée dans cette note donne:

ρ > |a1|R2 M + |a0|2 3.

Elle est meilleure, pour ce cas particulier, que la limite générale, que nous donnons dans la présente note.

Si a10, a20 les résultats de l’équation trinôme donnent:

ρ > 4 9 |a2|R3 M + |a0|.

* * *

On peut étendre des considérations analogues pour le cas où f(x) est un polynome du quatrième degré. Si O et A sont les affixes de deux zéros de f(x), le théorème de Grâce Heywood exige qu’il y ait un zéro de la dérivée dans le cercle de diamètre OA. C’est à dire, si l’on désigne par O et q les plus petits modules des zéros de l’équation :

f(x) = a0 + a1x + a2x2 + a 3x3 + a 4x4 = a 0

et par σ le module minimum des zéros de la dérivée, sous la condition |f(x)| M pour |x| R, on a:

σ < ρ

Mais nous avons montré que:

σ 2|a1|R2 33(M + |a0|).

Donc, on a finalement, dans ce cas:

ρ 2 33 a1R2 (M + |a0|).